Le financement de la protection sociale et la compétitivité des entreprises

Publié le par Vd

La protection sociale est un service que les salariés mettent à leur tour au service de leur entreprise.

 

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le système français de protection sociale a su trouver une réponse aux grandes problématiques sociale. Il fallait protéger les citoyens contre les risques de la vie.

Ce que l’on appelle plus communément, les risques sociaux. Il s’agit de circonstances imprévues, susceptibles de compromettre la sécurité économique de l’individu ou de sa famille en provoquant une baisse des revenus ou une augmentation des dépenses.

Par la loi du 30 avril 1930 le législateur institua l’assurance sociale qui était bâtie sur une logique de solidarité professionnelle.  En effet, son financement reposait sur le partage des cotisations entre l’employeur et le salarié. Ce modèle dit « professionnel » était le premier système d’assurance santé obligatoire couvrant l’ensemble des risques (maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès).

Pendant la période des « 30 glorieuses », le système de protection sociale français était aisément financé par la population active qui ne cessait d’augmenter.

A partir des années 80, le chômage et la pauvreté se sont intensifiés  et le système de l’assurance commence à s’essouffler face à la détresse sociale. Des dispositifs basés sur l’assistance ont ainsi vu le jour. Ces dispositifs se fondent sur l’universalité de l’accès aux soins et sur la fiscalisation des dépenses de santé. Par ce système, dit Beveridgien, c’est la société toute entière qui, dans une logique de solidarité, va aider les personnes se trouvant dans le besoin. Les prestations relevant de l’assistance ne sont pas contributives puisque le bénéficiaire  ne doit aucune contrepartie.

C’est dans ce contexte que la CSG (la contribution sociale généralisée) sera créée en 1990.

Aujourd’hui le système de protection sociale traverse une crise de financement. Avec la barre symbolique de 10% de chômage à l’heure actuelle, le financement du système par des cotisations n’est plus aussi efficace que ce qu’il a pu l’être par le passé où la majorité de la population disposait d’un emploi stable. Le déséquilibre tient essentiellement à la diminution du nombre de cotisants et à l’augmentation du nombre de bénéficiaires, qui dans ce contexte de chômage et de précarisation du travail, ne cesse d’augmenter considérablement.

D’un autre coté, les prélèvements obligatoires qui nourrissent le système de protection sociale, sont souvent perçus comme un frein à la compétitivité des entreprises.

La compétitivité est une notion économique qu désigne notamment la capacité des entreprises d’un pays à affronter la concurrence mondiale mais également européenne.

A l’heure actuelle, la compétitivité des entreprises française ralentit dangereusement. Même si les investissements directs à l’étranger restent importants malgré un taux de prélèvements obligatoires le plus élevé du monde, la balance commerciale est déficitaire et le PIB tend à s’affaiblir d’année en année.

L’industrie française, autrefois la plus compétitive, est en chute libre. En effet, l’industrie représentait plus de 26% de l’emploi salarié dans les années 80, force est de constater qu’aujourd’hui on n’en compte plus que 12.6%.

Malgré la générosité du système de protection sociale en France, ses largesses sont financées essentiellement par le travail.

Le taux de prélèvement obligatoire en France aurait donc un réel impact sur la compétitivité des entreprises.

En effet, l’importance des prélèvements obligatoires en France est telle que les entreprises sont souvent hésitantes lorsqu’il s’agit d’entreprendre dans le pays ou à l’étranger. Mais, le financement de la protection sociale est-elle réellement un frein à la compétitivité des entreprises ? Certains préconisent une baisse du coût du travail, responsable en majeure partie de la perte de compétitivité des entreprises françaises. D’autres en revanche, rejettent cette idée et prônent la compétitivité « hors coût », c'est-à-dire une dynamique qui serait basée sur une production française dite « haute de gamme ».

Force est de constater que la protection sociale en France a un coût qui est supporté en majeure partie par les employeurs et les salariés. Si ce système de financement a connu ses heures de gloire, il s’étiole dangereusement d’année en d’année, car il n’est vraisemblablement plus adapté à nos sociétés actuelles (I). Cependant, la protection sociale et la compétitivité des entreprises, loin d’être deux notions opposées et contradictoires, peuvent converger vers un objectif commun, celui de l’efficacité productive de la masse salariale (II).

 

 

 

I - Le financement de la protection sociale comme farouche opposant de la compétitivité des entreprises

 

En matière de financement de la protection sociale, deux modèles s’opposent. Le modèle Beveridgien (A) qui repose sur la fiscalisation de la protection sociale et le modèle Bismarckien (B) qui repose essentiellement sur les revenus du travail. Quel que soit le mode de financement utilisé, la compétitivité des entreprises semble affectée d’une manière ou d’une autre.

 

A -  La fiscalisation de la protection sociale

 

 

Le système Beveridgien, financé par l’impôt, est, dans de nombreux pays, accusé de peser sur la compétitivité des entreprises.

Ce système repose sur un principe simple : assurer à chacun des membres de la société le droit à un minimum de ressources sans qu’il y ait besoin de verser une quelconque cotisation. Ce système, nous l’avons vu nécessite toutefois un financement complémentaire par l’impôt.

Les prestations relevant de l’assistance ne sont pas contributives puisque le bénéficiaire  ne doit aucune contrepartie. Cependant, elles restent soumises à des conditions de ressource et de besoin. On dit que la redistribution est  verticale parce qu’elle se réalise par des transferts monétaires ou en nature vers les plus démunis qui ne contribuent que faiblement voire pas du tout au financement du système. Cela permet en outre de réduire les inégalités au sein de la société.

Ce système est appliqué en Grande Bretagne mais il pèse sur la compétitivité des entreprises et sur l’efficacité économique. En effet, les prélèvements obligatoires peuvent freiner la croissance et diminuent ainsi l’incitation des entreprises à entreprendre.

Cependant peut-on considérer qu’une baisse de l’impôt servirait d’avantage la croissance des entreprises ?

 

Il semblerait que la baisse des impôts s’accompagne d’une réduction des dépenses sociales. Tel fut le cas aux Etats-Unis. Par la loi de 1996, une réforme de l’aide sociale s’est opérée dans le pays. Le dispositif prévoyait une réduction drastique de l’aide sociale (par exemple, elle est limitée à soixante mois  sur une vie). Cette réforme a été pensée dans une logique d’incitation au travail, mais on a pu lui faire procès de ses ravages sociaux sur le long terme. En effet, une partie de la population ne peut vivre décemment qu’en associant travail et aide sociale…[1]

 

B -  Le financement « professionnel » de la protection sociale

 

 

Ce système est fondé sur la solidarité professionnelle. Il n’opère pas, contrairement au système beveridgien, de redistribution verticale des revenus.

Les cotisations à la charge des employeurs et des salariés pèsent sur le coût du travail et on leur fait procès de mettre en péril la compétitivité des entreprises.

Ce mode de financement, à lui seul, est devenu progressivement inadapté. Avec la barre symbolique de 10% de chômage à l’heure actuelle, le financement du système par des cotisations n’est plus aussi efficace que ce qu’il a pu l’être par le passé où la majorité de la population disposait d’un emploi stable. Le déséquilibre tient essentiellement à la diminution du nombre de cotisants et à l’augmentation du nombre de bénéficiaires, qui dans ce contexte de chômage et de précarisation du travail, ne cesse d’augmenter considérablement.

Force est de constater qu’aujourd’hui, le coût de la protection sociale en France doit également être comparé avec son coût dans les autres pays. En effet, l’ouverture à la concurrence mondiale implique des impératifs de compétitivité qui traversent les frontières économiques française. Les entreprises doivent donc limiter leur coût de production et augmenter leur productivité.

Au début des années 90, le gouvernement a pris des mesures visant à exonérer les employeurs d’une partie de leurs cotisations sociales sur les bas salaires[2], espérant par là même multiplier les embauches des salariés peu qualifiés. Les effets délétères de cette mesure ne se sont pas fait attendre : Les emplois requérants une faible qualification se sont développés. Les cotisations sociales étant proportionnelles aux revenus, cela n’a pas servi le financement de la protection sociale. Peut être aurait-il mieux valu encourager l’emploi des  salariés qualifiés afin de relancer l’ascenseur social.  Cette mesure à également introduit des effets de seuil : ainsi au-delà du plafond exonératoire, les augmentations de salaire se répercutent sur l’employeur qui devra supporter des cotisations plus importantes. Ainsi, les entreprises qui s’efforcent d’élever la qualification et les salaires de leur personnel sont peu incitées à le faire…

Dans un autre temps, la LME (loi de modernisation de l’économie) de 2008 institua le statut d’auto entrepreneur destiné à faciliter la création d’une activité. Ce statut bénéficie d’un régime simplifié de calcul et de paiement de cotisations et contributions sociales obligatoires ainsi que d’une imposition avantageuse.

Le 28 septembre 2012, lors de la présentation du budget 2013, le gouvernement a souhaité aligner les cotisations sociales des auto-entrepreneurs sur celles des autres travailleurs indépendants qui cotisent au RSI. Concrètement, il s’agira de supprimer  la prise en charge par l’Etat des allègements pratiqués pour les auto-entrepreneurs. Si les artisans et les commerçants voyaient dans ce statut une forme de concurrence déloyale c’est parce que le coût de la protection sociale pèse indéniablement sur la compétitivité des entreprises à court terme.

Cependant, il peut également être perçu comme un atout à long terme.

 

II - Le financement de la protection sociale comme fervent partisan de la compétitivité des entreprises

 

Le financement de la protection sociale ne permet pas à lui seul d’expliquer la baisse de compétitivité des entreprises.

Cependant, la conjoncture économique difficile impose que l’on repense le mode de financement de la protection sociale ou du moins qu’on l’adapte aux difficultés économiques (A).

Loin d’être une entrave à la compétitivité, la protection sociale peut servir les entreprises et accroître leur productivité donc leur compétitivité (B).

 

A - Vers un financement de la protection sociale mieux adapté à la conjoncture économique

 

En France la protection repose essentiellement sur les revenus du travail, nous l’avons vu.

Le rapport Gallois préconise ainsi une diminution des cotisations sociales des entreprises pour un montant de 30 milliards d’euros au total sur deux ans (réduction de 20 milliards pour les employeurs et 10 milliards pour les salariés). Cet allègement conduirait soit à une réduction de la couverture sociale, soit à une prise en charge plus importante par l’Etat de la protection sociale. Or en matière de santé, comme pour la retraite, les individus ont de plus en plus recours aux organismes privés de capitalisation. Ainsi une réduction de la couverture sociale conduirait à une privatisation plus importante (tel est déjà le cas au Etats-Unis !)

Par ailleurs, un recours à la fiscalité est considéré comme plus juste puisque l’impôt est en partie progressif et qu’il concerne également les revenus du capital. Une baisse des charges  sociales par la fiscalisation aurait le mérite de mieux répartir le coût de la protection sociale.  Néanmoins, cette mesure aurait peut être pour effet de libérer les entreprises de charges qui doivent leur incomber comme le chômage et les retraites.

En outre, la montée du chômage et les difficultés  à trouver un emploi, intensifient les mesures d’assistance qui sont de plus au devant de la scène sociale. 

Tel fut le cas notamment avec l’adoption des minima sociaux et de la CMU. Les entreprises pourraient ainsi être plus compétitives avec un système de santé moins inégalitaire. La santé et l’espérance de vie sont des facteurs d’employabilité.

Enfin, notons une dernière solution pour améliorer la compétitivité des entreprises. Il s’agirait d’élargir la base du financement de la protection sociale tout en agissant en faveur de l’emploi. Cette solution a été appliquée en Allemagne, où 35% des recettes de protection sociale proviennent de transferts par l’Etat du produit d’impôts non explicitement affectés mais qui servent à équilibrer les régimes de sécurité sociale.

Ainsi concrètement, une part du financement de la protection sociale reposerait sur les produits importés et sur les produits fabriqués par le pays mais à un taux différent. Mais la France contrairement à l’Allemagne a un taux de TVA plus élevé (19.6% contre 19% en Allemagne).

 

B - La cohésion sociale au service de la compétitivité

 

Le financement de la protection sociale et la compétitivité ne sont pas des notions fondamentalement opposées. Et pour cause, il s’agirait de les rendre complémentaires sur le terrain de l’efficacité et la production salariale.

En effet, la protection sociale améliore l’état sanitaire des individus. En outre, le système protège les actifs contre les risques économiques et sociaux.

Il résulte de ces constatations une meilleure efficacité productive au travail, mais aussi une prolongation des études (bien que ces effets salvateurs aient, eux aussi, leurs effets pervers, il s’agit d’un autre débat que nous ne traiterons pas ici).

De plus, un rapport de la commission européenne[3] a démontré que de bonne condition de travail (santé et sécurité) contribuait à promouvoir la croissance et la compétitivité des entreprises. 

La protection sociale et l’emploi sont donc intimement liés, sans préjudice des conditions de travail bien entendu.

Cependant il en résulte que la mobilité internationale des travailleurs n’est pas encouragée et nuit à la compétitivité. Le rapport Supiot de 1999 apporte quelques solutions à cela en proposant notamment « de garantir des droits sociaux au niveau européen ». L’auteur fait également référence à la notion de « flexicurité », c'est-à-dire une politique qui permet aux entreprises plus de flexibilité mais qui protège également les travailleurs contre l’exclusion et la précarité (qui est le revers de la flexibilité).

 Ainsi il existe une complémentarité entre la cohésion sociale et la compétitivité des entreprises. Une répartition plus juste permettrait de servir d’avantage la productivité des salariés en entreprise. Cela contribuerait ainsi à réduire la fracture sociale dans notre pays.

 

 

 



[1] R. SOLOW, Les leçons de la réforme de l’aide sociale aux Etats-Unis, Prisme N°2, Novembre 2003.  

 

[2] Ils s’appliquent aux salaires inférieurs à 1,6 Smic : ainsi, en 2010, si le taux global de cotisations patronales était de 30,38 %, le taux effectif n’était que de 4,38 % au niveau du Smic.

[3] « améliorer la qualité et la productivité au travail 2007-2012 »

Publié dans Droit social

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